Hélène Nahum chez elle à Paris. @Hélène Nahum

« En Grèce, il n’y a aucune trace de ce qui est arrivé aux juifs de Thessalonique » : Hélène Nahum, à la recherche du temps perdu

Depuis la mort de son père grec, déporté à Auschwitz-Birkenau pendant la seconde guerre mondiale, Hélène Nahum retourne souvent dans la ville de Thessalonique. La retraitée veut renouer avec ses racines mais elle fait face aux silences des Grecs pour qui l’évocation de la Shoah reste tabou. 

Hélène Nahum-Kohen adore aller au cinéma depuis qu’elle est à la retraite. Un goût qu’elle a conservé de son passé de directrice de production. Récemment, elle s’est rendue au Festival du Cinéma du réel. Elle y a découvert le travail de Sophie Bredier, qui raconte sa vie d’enfant adopté. «Les histoires de personnes qui ne connaissent pas leur passé, ça me parle évidemment», souligne-t-elle. Et pour cause, elle est la fille de rescapés juifs grecs et polonais pendant la Seconde Guerre mondiale. «Être l’enfant de survivants de la Shoah, c’est quelque chose auquel on pense sans arrêt».

Attablée dans son lumineux salon vert, qui offre une vue imprenable sur la Défense, la dame réajuste ses lunettes. «J’ai toujours été active, je ne peux pas m’arrêter». Hélène a même eu plusieurs vies en une : elle a fait une thèse sur la Chine et donné des cours en prison. «C’était une façon pour moi de comprendre un peu l’enfermement qu’a pu vivre mon père à AuschwitzBirkenau», témoigne-t-elle. Selon Hélène, la violence ressentie dans ce lieu a, par certains aspects, quelque chose de similaire. «Même à nous les intervenants, on nous enlève notre identité à l’entrée et il y a tout un protocole pour pénétrer dans la prison». Elle a donné des cours plus de trois ans avant de travailler au ministère de la culture en 1981. «D’un univers à l’autre finalement», s’amuse-t-elle.  

L’hyperactivité est de famille. Son fils aîné travaille à Singapour et l’autre «essaie de vivre de son art dans la capitale», précise Hélène, tout comme son mari, dont la table à dessin trône au milieu de la pièce. Elle-même n’est pas en reste. Lorsqu’elle n’écume pas les salles obscures, Hélène voyage et assiste à des conférences. Avec un regard particulier sur tout ce qui a trait à la Grèce et la ville de Thessalonique (anciennement Salonique ndlr), dont son père était originaire. «Ma retraite me permet de me plonger dans ce passé», explique-t-elle. Cette semaine, elle a assisté à une conférence sur l’ancien cimetière juifs de cette ville portuaire, dont les tombes ont été dispersées pendant la Seconde Guerre mondiale. «Il y a une telle méconnaissance en Europe sur ce qui est arrivé aux juifs thessaloniciens, que je trouve ce genre d’initiative pour faire connaître leur histoire encourageante

 La maison au bord de la mer

Hélène fait même régulièrement des voyages dans ce pays pour renouer avec ses racines. À 15 ans, son père, Salomon Kohen, est déporté à Auschwitz-Birkenau avec toute sa famille : il est le seul survivant. «Comme il était grec, les Allemands l’ont envoyé en 1944 “nettoyer” Varsovie. L’armée polonaise a mené un assaut au même moment, il en a profité pour s’enfuir avec un camarade. Tous deux ont été recueillis par un prêtre», raconte-t-elle. Des infos obtenues enfant, en entendant des bribes de conversations entre son père et ses amis. 

Son pays d’origine, la Grèce, est le seul élément qu’il n’évoque jamais… Sinon une maison familiale en bord de mer. En se rendant sur place plusieurs années après le décès de son père, Hélène tombe des nues. «Il ne restait rien de ce qu’il avait décrit et à la place il n’y avait qu’un petit immeuble», se souvient-elle. À force de recherches, la femme découvre que tout juif qui n’est pas revenu en Thessalonique après la guerre est « considéré comme mort du point de vu des propriétés. Ça m’a fait pleurer et encore aujourd’hui cela m’émeut. Tout a presque été effacé de la vie juive à Salonique».

«Les Grecs doivent regarder leur histoire en face»

De ces voyages récurrents, Hélène ramène même une certaine colère à Paris. Avec son amie historienne Henriette Asséo, elles tentent à leur échelle de reconstituer l’histoire de Thessalonique. Cette ville où 50.000 juifs vivaient avant la Seconde Guerre mondiale. «Des chercheurs nous ont expliqué ne pas vraiment dire aux Grecs qu’ils étudient la communauté juive, insiste Hélène, sinon on ne leur fournissait par forcément les documents dont ils avaient besoin». Au total, seuls 1000 juifs sont revenus en Thessalonique après la guerre. «Je pense qu’une culpabilité subsiste dans le pays… Mais c’est aux Grecs de se démerder avec ça et de faire face à leur histoire», s’insurge-t-elle.

Ce tabou côté grec et l’actualité décourage parfois la retraitée. «Depuis le 7 octobre et le massacre antisémite qui a eu lieu, ma motivation est retombée… Je me demande pourquoi je fais ça ? Et pour qui ?» relate Hélène, amère. Elle se souvient du regard de son père, lorsqu’elle lui parlait, plus jeune, de la possibilité d’un monde meilleur. «Je lui promettais presque que cela n’arriverait plus jamais, déclare Hélène. Il me faisait un sourire attendrie mais il avait un regard dubitatif». Dans ses mains, elle tient fermement une photo de son vieux père dos à la mer.