“Je ne vois pas qu’ils sont blancs et eux ne voient pas que je suis noire” 

À Athènes, l’association “African’s Women” aide les migrantes à s’intégrer. Collecte de vêtements, traductions et aides administratives, l’association mène ses missions depuis 2005. Un réseau créé par des réfugiées pour les réfugiées. 

“C’est l’heure de profiter, ici on veut de la convivialité !” Sourire aux lèvres, Lauretta est heureuse : ce soir, au 91 rue Kyprou à Athènes, l’ambiance est à la fête pour les femmes d’“African’s Women”’, l’association qu’elle préside. Éclairage tamisé, projecteurs, lumières bleues : la piste de danse est installée. Assis dans un coin, platines à la main, le DJ s’active : Burna Boys, Aya Stars, Ida Banton… les hits afro-pop s’enchaînent. À l’opposé de la pièce, une table est montée le long du mur. Dessus, le buffet est prêt. Il est composé d’injera (une crêpe éthiopienne), de doro wat (une sauce épicée à base d’oignons et de tomates), et de poulet yassa (spécialité sénégalaise). Debout, le long de la table, une vingtaine de femmes d’origine africaine se régalent. Vêtues de leurs plus beaux boubous, elles discutent et les rires s’élèvent.

Cette association est devenue la raison de vivre de Lauretta. Immigrée, elle a quitté le Sierra Leone il y a quarante ans pour vivre en Grèce. Depuis, elle travaille à Athènes dans les relations publiques pour “Arsis” une organisation non gouvernementale qui défend les droits des mineurs en danger. Mais la protection des jeunes n’est pas le seul combat de Lauretta : “Je veux que les migrants et les femmes, racisées en particulier, se sentent soutenues et s’entraident les unes et les autres”. En 2005, elle fonde African’s Women, épaulée par soixante-dix femmes, toutes réfugiées comme elle : “Les femmes qui m’entourent sont majoritairement congolaises et nigérianes et ont fui leur pays à cause des régimes autoritaires”, précise Lauretta. 

Une entraide qui dépasse l’Afrique

La soirée bat son plein et une trentaine de Grecs se joignent à la fête. Âgés de 20 à 70 ans, ces femmes et ces hommes sont également membres de l’association  African’s Women. “J’ai découvert l’association lors d’une manifestation il y a quelques années, explique Cristina, trentenaire et cinématographe. Pour moi, c’est plus qu’un simple bénévolat pour les réfugiés. Il s’agit de féminisme décolonial. On ne peut pas vouloir agir pour ces femmes sans leur parler, ni les écouter. Il faut leur donner la parole. Elles sont les premières concernées et savent mieux que personne ce qu’est la réalité d’une femme noire et immigrée à Athènes.”

Assise à côté d’elle, son amie Marrow contemple la fête. Pensive, la psychologue grecque se remémore les moments passés avec les femmes africaines : “Toute l’année, de façon ponctuelle, on aide ces réfugiées pour qu’elles se sentent intégrées. Par exemple, l’autre jour, j’ai traduit des documents administratifs pour qu’une femme puisse faire ses demandes de titre de séjour.” À quelques mètres, un homme grec discute avec une Camerounaise. Récemment, il a participé à une collecte pour les femmes africaines L’objectif ? S’échanger des affaires, des vêtements pour enfants, et des objets africains traditionnels.

Une association qui vit sans budget

“Nous n’avons pas de moyens financiers ni d’aide de l’Etat, c’est pour cela que les événements comme celui-ci sont rares”, explique Marrow. Ce soir-là, la soirée se déroule dans une salle de spectacle mise à disposition gratuitement par ses propriétaires. “Ici, toute l’année, des comédiens viennent produire leur spectacle. L’argent récolté est mutualisé : une partie est versée aux artistes sous forme de salaire et une autre partie est mise de côté et pour permettre l’accueil d’association comme celle-là”, explique Clo, stagiaire en événementiel.

À côté d’elle, des bénévoles interrompent leurs conversations pour esquisser quelques pas de danse. Le brouhaha jovial de la soirée est suspendu lorsque, sans prévenir, la musique s’arrête. Au centre de la pièce, les spots éclairent Lauretta. La présidente de l’association découpe une tarte. L’acte est symbolique : “Cette tarte on va la partager tous ensemble, au nom de la solidarité” s’exclame-t-elle. 

Des préjugés qui vont dans les deux sens

“En vingt ans, je me suis fait plein d’amis grecs. Je ne vois pas qu’ils sont blancs et eux ne voient pas que je suis noire. Pour rigoler, on n’a pas besoin d’être de la même couleur de peau”, témoigne Addia, une sexagénaire burkinabè. Assise, mains jointes à hauteur de genoux sur son boubou jaune, elle nuance : “Certains pensent que les Grecs ne vont pas les accueillir ou ont peurs d’être jugés, méprisés. Ce sont des préjugés qui vont dans les deux sens.”

Cette vie de réfugiées intégrées que vivent les femmes de l’association, beaucoup ne la connaîtront pas : “À cause des difficultés économiques, les personnes ne sont que de passage et quittent la Grèce pour aller en Europe de l’ouest”, témoigne un Ghanéen, venu avec son épouse à la soirée. À quelques mètres de lui, Addia renchérit : “Je crois que si les gens partent d’ici, c’est à cause du manque d’argent et pas du manque d’accueil.” En 2019, avant la pandémie de Covid 19, African’s Women comptait une centaine de femmes. Désormais, elles ne sont plus qu’une trentaine.