A Athènes, la fièvre du Airbnb transforme la ville

Destination ultra prisée pour les vacanciers, la capitale grecque est victime de son succès : la prolifération des Airbnb impacte radicalement plusieurs quartiers de la ville, jusqu’à faire fuir sous la contrainte ses propres habitants, incapables de concurrencer les prix touristiques.

La rue piétonne de Méthonis, en plein centre d’Athènes, est déserte en ce milieu d’après-midi. Malgré les orangers accueillants qui offrent une ombre bienvenue en ce début de printemps, aucune âme ne vient troubler le silence, seuls quelques chats traversent la route d’un pas tranquille. Le quartier d’Exarcheia est devenu un repaire pour les propriétaires de Airbnb. Ancien lieu anarchiste d’Athènes, connu pour sa jeunesse militante et radicale, Exarcheia s’est gentrifié en quelques années, en grande partie en raison de la multiplication de ces locations de courte durée.

Des quartiers devenus inaccessibles pour les Athéniens

La mise en location par Airbnb de plus de 15 mille logements dans la capitale grecque, n’est pas sans conséquences et beaucoup d’Athéniens sont expulsés de leur domicile. Lazaros, 37 ans, psychologue, témoigne : « Quand j’ai été viré de mon appartement, je n’ai pas eu de compensation financière. Il y avait une clause d’expiration sur mon contrat, ce qui a protégé le propriétaire à mes dépens. »

Comme beaucoup, Lazaros n’a pas retrouvé d’appartement avec un loyer décent lui permettant de vivre seul : il a donc dû se tourner vers la colocation, malgré son âge et une situation professionnelle stable et reconnue. « À Athènes, le pouvoir d’achat est en moyenne de 900 euros par mois par personne. Pour un petit appartement modeste, il faut compter au moins 400 euros. Il ne reste plus grand-chose pour vivre. C’est tellement cher ! »

Par conséquent, certaines zones de la ville se vident de leurs habitants et perdent leur identité territoriale. Cyril travaille dans l’immobilier, il a vécu dans le quartier de Kypseli, et témoigne : « J’habitais il y a quelques années dans ce quartier multiculturel, où Grecs et populations immigrées étaient voisins, les enfants jouaient ensemble dans les parcs…C’était un multiculturalisme enrichissant. Les Airbnb ont complètement détruit cette ambiance unique. Maintenant, ce sont seulement des touristes. »

C’est aussi ce qu’explique Nikos, propriétaire d’une épicerie en plein centre d’Exarcheia : « Depuis un an, beaucoup d’habitués qui étaient mes clients sont partis…c’est triste. Des gens qui vivaient ici depuis quinze ans ont été expulsés en un mois. Le quartier a été déserté. » Lui-même ne vit pas à Exarcheia, mais en périphérie d’Athènes, à Votanicos, puisqu’il n’a pas les moyens de payer un loyer proche de son lieu de travail.

Dans la capitale, une grande partie des habitants s’insurge contre ce nouveau mode de consommation touristique, et dénonce ses dérives : il y a trois mois, un mouvement avait ainsi été organisé pour l’enterrement symbolique du quartier de Metaxourgeio, manière d’interpeller le gouvernement sur l’urgence de la situation.

A Athènes, les quartiers résidentiels sont de plus en plus transformés en Airbnb.
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Les mesures mises en place restent insuffisantes

Depuis 2017, une législation encadre les pratiques immobilières concernant les Airbnb et les propriétaires de logement de courte durée doivent en déclarer les montants perçus. En 2024, cette législation s’est renforcée avec l’interdiction de louer un bien à plus de 60 jours par réservation. Cependant, ces évolutions juridiques ne suffisent pas à endiguer le problème de précarité immobilière des Athéniens : en 2019, au lendemain de la pandémie de Covid-19, les prix ont augmenté de plus de 9,3% selon un rapport de l’Union social pour l’habitat. Cette hausse cause des difficultés en particulier aux retraités, aux familles monoparentales et aux ouvriers. Certain propriétaires, comme Alain, 57 ans, revendiquent ainsi l’établissement de prix planchers, permettant de mettre fin à la surenchère immobilière. 

« À Exarcheia, vous aviez des caves, des demi-caves qui étaient occupées pendant la crise et coûtaient seulement 150 euros. Aujourd’hui, ces mêmes caves sont louées au prix moyen des Airbnb. Et puis comme vous n’êtes pas loin de l’Acropole, les gens viennent et payent le prix fort. Ce n’est pas tenable.  »

À la retraite, Alain a décidé de ne pas mettre en Airbnb ses quatre appartements à Athènes. Une obligation éthique selon lui, qu’il explique au vu de la situation : « Les prix de l’immobilier ont quand même doublé en trois ans…Il y a quelques années, l’avantage d’Athènes, c’est que tout le monde pouvait y habiter, près de son lieu de travail. C’est terminé. »

Le quartier très touristique de Plaka, un des endroits les plus visités d’Athènes.
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Entre sur-tourisme et appauvrissement des vacanciers 

Mais les propriétaires qui tournent le dos à Airbnb sont rares et la location de courte durée reste une aubaine pour certains ménages :  dans la capitale, le prix moyen d’une nuit d’Airbnb est de 97 euros, selon le comparateur de locations saisonnières Likibu. En moyenne, une location louée 400 euros par mois peut engendrer, en prenant l’option Airbnb, un gain de 900 à 1000 euros mensuel, pour le propriétaire  selon les chiffres de Medicis Immobilier Neuf et du Monde. 

À cela s’ajoutent le sur-tourisme, présent à Athènes et dans le reste du pays, le phénomène des goldens visas, et l’appauvrissement général des vacanciers. Face au prix onéreux des billets d’avion, ils sont nombreux à économiser sur les frais d’hôtel et optent pour une location de particulier à particulier.

Lazaros résume la situation d’un ton amer : « Le sur-tourisme permet aux propriétaires de s’enrichir. Mais cela se fait au dépend des Athéniens. Peu importe, les raisons des propriétaires, c’est un manque clair de solidarité et de savoir-vivre en société. »

Mayalène Trémolet et Cécile Bonneau