« Cela devrait être à l’État de nourrir son pays, pas à nous »

Personnes sans-abris, chômeurs… les effets de la crise économique impactent toujours la population d’Athènes. Face à cette précarité grandissante, l’association « L’Autre Humain » mobilise ses bénévoles pour distribuer des repas dans la rue.

Il est 10h du matin. Dans le quartier populaire de Keramikos à Athènes, la rue Alexandre semble vide. Partout le calme règne, à l’exception d’un bout de trottoir devant un local situé au numéro 109. À cet endroit, quatre hommes, la trentaine, installent une table en bois et des chaises. Ce sont les bénévoles de l’association “L’Autre Humain”. À l’intérieur du local, leurs deux homologues répartissent la nourriture dans des cagettes en plastique. Pains, croissant, confiture, café… en quelques minutes le petit déjeuner est servi sur la table. Assise sur une chaise, une vieille dame commence à distribuer les vivres à des inconnus qui arrivent. 

Chaque jour de la semaine, la scène se répète. “Ce que je vois surtout ici, ce sont des gens seuls qui se sentent abandonnés”, témoigne Constantinos. Debout dans son local, cigarette à la main, le fondateur de l’association gratte sa longue barbe blanche d’un air pensif. Le sexagénaire se souvient de la crise économique de 2008 qui a frappé son pays. Suite à cet événement, il décide de créer l’association en 2011. Depuis, “L’Autre Humain” a distribué plus de 18 millions de repas. Actuellement, l’association mène des actions dans dix villes du pays et compte plus de 500 bénévoles. 

Des bénéficiaires chaque jour plus nombreux 

Addicts à la drogue, personnes sans domicile fixe, retraités, chômeurs … les profils des bénéficiaires des repas sont variés. Louna, trentenaire et brune, vient tous les jours. À ses yeux, ces moment sont importants : “Je dois tellement à cette association. J’ai subi des violences sexuelles, j’ai été cambriolée plusieurs fois et j’ai beaucoup de problèmes de santé. Ici, je peux en parler et je me sens un peu mieux.” Ces moments d’échanges provoquent parfois des disputes. “Ces personnes ont faim. De temps en temps, à cause de la fatigue, ils se disputent entre eux sur le trottoir mais cela reste occasionnel”, explique Constantinos. 

Ce matin, l’ambiance est chaleureuse. Tartine en main, Yanna semble apaisée. “J’aime venir ici, ces moments me font du bien”, confie-t-elle avec douceur. Pour vivre, la retraitée touche une pension de 500 euros par mois. En plus de ses besoins, elle doit subvenir à ceux de son fils malade. Mira, une vieille dame, se rend également ici quotidiennement. Cette veuve touche une pension de retraite de 300 euros par mois dont 200 euros sont alloués au loyer. “Ce cas est très courant”, explique Vilnys, un volontaire assis sur une chaise. “Parfois il y a des familles plus nombreuses avec encore moins d’argent. Comment s’en sortir dans ces conditions ?!” se désole-il. Ancien journaliste pour l’agence Reuters, il s’est engagé dans l’association en 2011 lorsqu’il couvrait la crise. “Depuis, le nombre de demandeurs de repas n’a fait qu’augmenter et aujourd’hui, nous avons une moyenne de 400 personnes par jour”, précise-t-il. 

Une association pour pallier aux défaillances de l’Etat 

“La situation aujourd’hui est encore pire que depuis le début de la crise économique”, se désole Yanna. La détresse de la retraitée aux courts cheveux roux se traduit dans les chiffres des observateurs : selon l’OCDE, le salaire moyen en Grèce a diminué de 22% depuis le début de la crise. Mais Constantinos s’interroge : “Comment expliquez-vous que notre aide alimentaire soit indispensable ? Cela devrait être à l’État de nourrir son pays, pas à nous”, grogne le fondateur. Dans la poche arrière de son jean, il sort une facture froissée. Le montant indique 5000 euros, cela correspond aux charges du local par mois. “Si nous pouvons agir, c’est grâce aux dons que l’on reçoit des gens avec le bouche-à-oreille. La générosité existe mais l’aide ne vient pas de nos dirigeants” déplore-t-il.