Les Grecs sont nombreux à se revendiquer d’une forme de nationalisme. Contrairement à d’autres pays d’Europe, dont la France, cette notion n’est pas associée à l’extrême-droite. Explications avec Nikos Sigalas, historien spécialiste de la période ottomane et néohélléniste.
Des cortèges composés de soldats… et d’écoliers. Les 24 et 25 mars, les Grecs célébraient la fête nationale à grand renfort de défilés dans les rues d’Athènes. Une manifestation incontournable dans le pays pour dire sa fierté d’être grec et revendiquer ouvertement son patriotisme. Car en Grèce, chez les enfants comme chez les adultes, l’amour de la nation est une notion enseignée dès l’école. Sans pour autant être une valeur d’extrême-droite. Éléments d’explication avec Nikos Sigalas, historien spécialiste de la période ottomane et néohélléniste et auteur de nombreux travaux sur l’histoire des concepts politiques grecs. Formé à l’EHESS, il collabore à l’Université de Patras en Grèce.
Le 25 mars, les Grecs sont descendus dans les rues à l’occasion de la fête nationale. Que célébraient-ils?
Lors de la fête nationale, les Grecs commémorent la révolution de 1821, c’est-à-dire la prise des armes contre le pouvoir ottoman et la naissance de l’État grec tel qu’on le connaît aujourd’hui. Avant cette révolution, la Grèce en tant qu’entité n’existait pas. Elle est née du nationalisme des révolutionnaires, qui se soulèvent et massacrent les Turcs de leurs régions pour obtenir l’indépendance. Ce soulèvement a contribué à l’émergence de l’État grec tel qu’on le connaît, au même titre que la Révolution française a donné naissance à la France d’aujourd’hui.
Dans les cortèges, de nombreux Athéniens ont fait part de leur fierté d’appartenir à la communauté nationale. Peut-on parler de patriotisme?
Bien sûr, et ce sentiment patriote est d’autant plus fort que l’on observe aujourd’hui un retour du nationalisme partout dans le monde. Il y a trois ans, les Grecs commémorent le bicentenaire de leur révolution. Cet événement a contribué à souligner l’importance de ce soulèvement chez le peuple grec.
«La construction de ce sentiment national repose aussi sur une forme de continuité avec l’antiquité. À l’école, les jeunes grecs étudient la Grèce antique et apprennent qu’ils sont, en quelque sorte, les héritiers de ce patrimoine pourtant très lointain.»
Nikos Sigalas, historien.
Ce sentiment national fait-il l’objet d’un apprentissage à l’école?
Bien sûr ! Les livres d’Histoire grecs enseignent aux enfants de nombreux mythes qui renforcent le sentiment national. Il y a beaucoup d’histoires très connues – et souvent fausses – qui valorisent les Grecs contre les Ottomans. En fait, l’école est là pour construire la nation et répandre une idéologie nationale, plus ou moins accentuée.

Les écoliers des régions environnantes font le déplacement jusqu’à Athènes pour défiler dans les rues lors de la fête nationale. © Baptite Roux
Comment s’organise cet apprentissage?
La construction de ce sentiment national repose aussi sur une forme de continuité avec l’Antiquité. À l’école, les jeunes Grecs étudient la Grèce antique et apprennent qu’ils sont, en quelque sorte, les héritiers de ce patrimoine pourtant très lointain. C’est assez typique du nationalisme partout dans le monde: on bâtit des continuités historiques et on s’invente de grandes missions universelles pour associer l’histoire de la nation au destin du monde entier. En Grèce, c’est l’héritage antique de la démocratie. En France, ce serait plutôt l’héritage du siècle des Lumières et la mission civilisatrice.
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que la plupart des nations nées durant les 19e et 20e siècles ont voulu s’ancrer dans l’histoire de l’Occident. Tout le monde désirait devenir l’Occidental par excellence, c’est-à-dire faire partie de cette histoire universelle du progrès. Ce sont ces discours très orientés que le mouvement postcolonialiste remet en cause aujourd’hui.
Le nationalisme grec est-il apolitique?
Le nationalisme n’est jamais apolitique ! Il est toujours l’idéologie officielle d’un pays et est plus ou moins présent selon les endroits du monde où l’on se trouve.
Est-il associé à une forme de xénophobie, comme cela peut-être le cas en France?
Pas nécessairement. La France est un cas très particulier : certains groupuscules comme l’Action Française se sont appropriés cette notion en mettant en avant des formes très radicales de nationalisme. Ensuite, le mot «nationalisme» a été repris par d’autres écrivains d’extrême-droite, comme Maurice Barrès et Charles Maurras. Ils en ont fait leur emblème. À ce moment-là, la notion de nationalisme devient de droite en France. En Grèce, nous n’avons pas d’équivalent.
Ce sentiment national ne fait-il l’objet pas l’objet d’une récupération par des partis politique?
Disons que les partis d’extrême-droite, qui tentent de faire du nationalisme leur étendard, ne rencontrent pas de succès dans les urnes. L’extrême-droite n’est pas très importante et, par conséquent, la critique du nationalisme non plus. Il me semble que les deux sont liés.
En revanche, on peut être inquiet pour l’avenir: aux élections législatives du printemps 2023, les partis d’extrême-droite ont obtenu des résultats plus importants qu’à l’accoutumée. Avec 12,77% des suffrages, ils font leur retour au parlement pour la première fois depuis cinquante ans. Cependant, ces partis ne triomphent pas tout à fait parce qu’ils sont divisés en plusieurs groupuscules, ce qui les empêche de s’emparer du pouvoir dans le pays.
Photo de couverture: Défilé des écoliers lors de la fête nationale © Baptiste Roux