Depuis 2018, la cote de popularité de la police grecque est en chute. En cause, la violence des forces de l’ordre et un sentiment général d’inefficacité. Une distance perceptible lors du défilé militaire ce lundi à Athènes.
Ce 25 mars a encore été une réussite pour Athanase. Cette année comme toutes les précédentes, le policier se réjouit de n’avoir pas eu à intervenir le jour de la fête nationale. Mieux encore, en cette fin de défilé militaire, quelques Grecs viennent lui parler, sans animosité, parfois même pour le remercier. “Ça fait du bien des journées comme celle-là, apprécie l’homme aux larges épaules. Ce n’est pas un métier facile, on sait qu’on est beaucoup critiqués mais on sent qu’on est utiles aujourd’hui. »
Les critiques, celui qui s’est engagé il y a sept ans y est confronté quotidiennement. Depuis 2018, la cote de popularité de la police grecque a chuté, passant de 72% à 44% selon une étude menée par Public Issue en janvier. Gianno, juché sur un muret pour apercevoir les gradés, en est l’incarnation. “On a donné du pouvoir à des personnes non éduquées et elles en profitent, s’agace le trentenaire à la barbe touffue. On voit beaucoup de violences, de corruption, surtout depuis trois ans.” Les cas de bavures ont explosé sur cette période, à tel point qu’Amnesty International s’est inquiété en 2022 d’un “recours excessif à la force”. Et qu’une étude de l’institut de données européennes Kapa Research, parue ce samedi, montre que deux tiers des Grecs trouvent leur police “trop violente” pendant les manifestations.
Une force politique contestée
Celles-ci se sont multipliées depuis les élections législatives de 2019, qui ont mené le conservateur Kyriakos Mitsotakis au pouvoir. Très contesté par les forces de gauche, et notamment les jeunes, le Premier ministre a demandé aux forces de l’ordre de durcir le ton. “La police est une institution gouvernementale, une force politique, rappelle Anastasios Valvis, politologue et doctorant à l’université du Péloponnèse. Avant, c’était un parti de gauche au pouvoir, elle avait donc une mission plus préventive. Elle est aussi le symbole du gouvernement hors de la sphère politique. Comme il est contesté, elle l’est forcément aussi.”
Ce rejet se matérialise de manière plus fréquente mais aussi plus violente. En décembre, un policier a succombé à ses blessures après une agression de hooligans lors d’un match de volley-ball. Ce décès est venu conclure une année d’évènements tragiques en Grèce, marquée par les débordements et les plaintes d’associations pour des violences policières.

Actuellement dans le pays, la population, notamment féminine, dit ne pas se sentir en sécurité. “Je suis moins à l’aise dans la rue qu’il y a deux ans, regrette Calie, venue de Thessalonique pour la parade militaire. Il y a souvent des bagarres dans la rue, je connais plein d’amies à qui on a essayé de voler des téléphones, des portefeuilles… Le soir surtout, les villes ne sont plus vraiment sûres.” Le témoignage de l’étudiante coïncide avec l’étude de Kapa Research, faisant état d’un “sentiment d’insécurité générale” en Grèce. Surtout, presque trois quarts (74%) des habitants restent convaincus que leur police n’est “pas efficace”, alors que le taux de criminalité n’a jamais été aussi élevé.
Un manque de formation et de proximité
Les financements affluent pourtant, puisque le pays compte 525 policiers pour 100.000 habitants, ce qui le place au deuxième rang à l’échelle de l’Union européenne derrière Chypre (544 pour 100.000) et loin devant la France (322). La police hellénique s’est surtout renforcée après la crise de 2008, lorsque des campagnes de recrutement ont offert un emploi à des milliers de précaires. Mais cette solution provisoire s’est prolongée, sans que ne soit prodiguée aux nouveaux agents la formation nécessaire. “Des investigations ont montré de gros dysfonctionnements dans l’organisation et les méthodes, pointe le chercheur Anastasios Valvis. Il y a des bavures, comme vous les connaissez en France, parce que l’entraînement et la formation, notamment à la gestion des émotions, ne sont pas assez poussés.”

Ces lacunes contribuent à éloigner la population des policiers. Celles-ci restent corrigibles, à condition d’en avoir la volonté et d’y mettre les moyens. Ce qui explique, en partie, le souhait de quatre Grecs sur dix de “réformer” la police pour qu’elle soit “plus éduquée et plus inclusive”, selon Kapa Research. “On a l’impression qu’ils ne savent que taper« , déplore Sotitirios, jeune père de famille qui reste au fond de la foule. Lui refuse d’applaudir les forces armées quand elles défilent. « C’est ce qui arrive quand on donne du pouvoir à des gens sous-éduqués : ils en profitent et en abusent sans régler les vrais problèmes”, ajoute-t-il. D’après les chiffres, 60% des Grecs continuent de réclamer plus de policiers. À condition qu’ils soient correctement formés.