Distante d’une soixantaine de kilomètres d’Athènes, la petite île d’Hydra, longtemps approvisionnée en eau par les îles voisines, est aujourd’hui autonome. Mais le système de filtrage de l’eau pose problème. Résultat, beaucoup d’habitants refusent de boire l’eau du robinet.

Petit port niché sur une montagne, sans voiture ni camion, Hydra est un paradis naturel… rempli de bouteilles d’eau en plastique. Ici un muletier dont la monture porte plusieurs bidons, là une vieille dame en noir sur un banc, sa petite bouteille à la main. Ailleurs, des bouteilles présentes sur chaque table de restaurant. Ce mercredi de mars est un beau jour de printemps, il fait déjà 25 degrés, la soif se fait ressentir.
Il faut dire que les 2500 habitants de l’île, un grand caillou sec, dovent composer quotidiennement avec une problématique de taille, commune à une majeure partie de l’archipel du Péloponnèse : son eau n’est ni potable, ni propre à la consommation. Au cœur de la mer Egée, des dizaines d’îles font ainsi face depuis plusieurs décennies à un stress hydrique important.
Il y a encore une dizaine d’années, le ravitaillement en eau se faisait par bateau, de Poros ou directement d’Athènes. Aujourd’hui une usine de filtration de mer permet à l’île d’approvisionner les habitants en eau, en quantité suffisante pour la vie quotidienne et la consommation.
Vivre sans eau potable
Mario, 25 ans, grand gaillard souriant, gérant d’un petit restaurant dans les hauteurs du port, déconseille vivement à ses clients l’utilisation de l’eau courante : « L’eau n’est absolument pas potable. Croyez-moi, je suis né ici, il ne faut surtout pas la boire. Si vous restez longtemps, vous verrez les effets sur votre peau, sur vos cheveux lorsque vous prenez une douche… C’est une eau qui est même mauvaise pour le corps ! »
Malgré les initiatives lancées par l’Etat et la préfecture, qui contrôlent tous les mois la qualité de l’eau pour garantir qu’elle est buvable, la défiance reste très présente. Pour Nikos, gérant du seul supermarché du port, qui vend des packs entiers d’eau en bouteille chaque jour, le processus de purification n’est pas encore au point. A son tour, il alarme contre la consommation d’eau du robinet : « L’eau pourrait être bonne en soi, elle est sûrement filtrée, mais les tuyaux sont vieux et sales. On est en train de réguler cela, mais pour l’instant, il n’est pas possible de la boire. »

Des contrôles et régulations mensuels
Ce discours de méfiance, partagé par une partie des habitants du port, s’illustre par l’omniprésence de packs de bouteilles en plastique dans l’île. Les marchandises, livrées en bateau, restent stockées dans les rues en attendant d’être acheminées à dos de mule.
Face à la mairie, une charrette remplie de dizaines de litres d’eau en bouteille, est visible depuis la fenêtre du bureau blanc de l’adjoint au maire Ioanis Belegris. L’élu, en charge de la gestion de l’eau sur l’île, regrette cette défiance générale de la population. « Jusqu’à 2014, on recevait principalement de l’eau de Poros, et elle était horrible, vraiment imbuvable, explique-t-il. Depuis, les gens n’ont plus confiance en l’eau, ils ne cherchent pas à la boire, mais ils vivent dans le passé. Depuis 2014, on récupère directement l’eau de la mer, on la filtre, et on la rend potable. »
Selon lui, la proportion des habitants méfiants s’avère anecdotique, dans la mesure où l’utilisation de l’eau courante est quotidienne malgré tout dans tous les foyers. « Les restaurateurs qui déconseillent l’eau aux touristes, avec quoi préparent-ils à manger à votre avis ? Avec l’eau de leur cuisine ! Dans ma famille, on la boit, on s’en sert pour cuisiner, on prend des bains et ça ne pose aucun problème »
En haussant les épaules, sourire amer aux lèvres, Ioannis Belegris rappelle également qu’il existe un encadrement légal, sans lequel il ne serait pas possible de distribuer l’eau dans les habitations. « Nous avons un contrôle de la préfecture tous les mois, et ces tests se révèlent toujours positifs. Les résultats sont publics et accessibles à tous. De plus, l’Etat effectue son propre contrôle deux fois par an. C’est évident que tout cela est très surveillé, si l’eau n’était pas bonne, on ne pourrait pas la laisser en accès libre ». Document à l’appui, l’adjoint au maire souligne ainsi la qualité du dernier résultat officiel, pour le mois de février, qui atteste que l’eau est parfaitement conforme.
Une inquiétude sanitaire
Reste que les établissements d’utilité publique refusent eux aussi de faire usage de l’eau courante. A l’hôpital d’Hydra, les infirmières ont des bouteilles d’eau à la main. Nick Boehmis, l’un des trois médecins généralistes, n’utilise pas l’eau de l’île, ni pour l’hygiène des patients de l’hôpital, ni pour leur consommation. Même dans son cabinet médical, il ne parvient pas à avoir de l’eau propre.
Joignant le geste à la parole, il ouvre et referme son robinet d’un coup sec, dans un sourire amer. « Vous voyez ce lavabo. Ouvrez l’eau, attendez cinq minutes, vous aurez de l’eau marron. C’est de l’eau pleine de boue… Elle n’est absolument pas propre. Le maire est élu depuis l’été dernier, il fait beaucoup d’efforts pour trouver une solution mais pour l’instant ce n’est pas ça », assène-t-il.
L’avis du jeune médecin est catégorique. L’air inquiet, il pianote machinalement sur son bureau. Et met en garde contre les risques sanitaires de la consommation d’une telle eau : « J’ai beaucoup de touristes à l’hôpital. Certains arrivent à l’hôpital avec des maladies gastrointestinales, mais ils viennent surtout soigner des réactions allergiques dues aux douches des hôtels. Quand ils se lavent, l’eau est très sale, ils contractent des infections de la peau et des yeux. Il ne faut définitivement pas la boire »
Discours officiel contre témoignages multiples et concordants : la question de l’eau sur l’île d’Hydra divise encore. Et elle est loin d’être réglée.
Mayalène Trémolet / Ludivine Blazy