Byron Kotzamanis, démographe : « La Grèce n’a pas de politique face au vieillissement de la population »

A 1,4 enfant par femme en 2023, le taux de fécondité de Grèce est un des plus faibles d’Europe. Sans compter que son nombre de naissances a diminué de 10% depuis 2021. A partir d’avril 2024, les primes à la naissance instaurées en 2020 par le gouvernement grec seront rehaussées de 2.000 à 2.400 euros pour le premier enfant, 2.700 euros pour le deuxième enfant, et 3.000 euros pour le troisième. Des mesures cependant insuffisantes pour enrayer le vieillissement de la population, selon Byron Kotzamanis, directeur de recherche à l’Institut de recherche démographique à Athènes.  

Byron Kotzamanis, directeur de recherche à l’Institut de recherche démographique à Athènes

MYTHOS : Le taux de fécondité est de près 1,7 en France, il est l’un des plus élevés d’Europe, tandis que la Grèce a le cinquième taux le plus faible derrière l’Espagne, l’Italie, la Pologne et Malte. Comment s’explique cet écart ?  

BYRON KOTZAMANIS :  L’indicateur de fécondité mesure le nombre d’enfants par femme en âge de procréer, entre 20 et 44 ans. En Europe, on observe les taux les plus faibles dans les pays du sud, dans les anciens pays socialistes et dans les pays germaniques. Ce sont des pays qui ont une politique familiale inexistante ou peu efficace. Ainsi, alors que le nombre moyen d’enfants désirés est sensiblement le même en Grèce et en France, autour de deux, on constate un écart bien plus important avec le nombre d’enfants mis au monde en Grèce. 

MYTHOS : Le gouvernement a annoncé en janvier une enveloppe de 90 millions d’euros pour son plan de réarmement démographique. Cela va-t-il permettre d’inverser durablement la tendance selon vous ?  

BYRON KOTZAMANIS : Le problème de la stratégie démographique gouvernementale est de se baser sur des aides financières. Or, on constate qu’en l’absence d’un environnement global adapté aux familles, telles que des maternités, des crèches, ou des allocations, des primes pour la naissance d’un enfant ne sont pas efficaces.

Outre les infrastructures ou les aides, les inégalités hommes-femmes sont encore très importantes dans le pays, et nuisent aux familles. La Grèce a progressé quant aux écarts de salaires, et à la gestion des carrières des femmes, mais il reste encore beaucoup à faire concernant la sphère privée. Au quotidien, ce sont les femmes qui s’occupent des enfants et des tâches domestiques.

MYTHOS : 52,5% des femmes ne travaillent d’ailleurs pas en Grèce, c’est le taux le plus élevé d’Europe

BYRON KOTZAMANIS : Les femmes sont plus touchées par le chômage que les hommes. Culturellement, elles sont aussi davantage à la maison. L’État considère que la famille est prise en charge par la sphère privée. Et il s’agit à chaque fois d’un rôle dévolu aux femmes. Il leur est ainsi très difficile d’assumer un travail en plus de la charge familiale, sans aide du gouvernement. Sans compter que les migrations internes se sont accrues au cours des dernières décennies, et que les familles sont ainsi plus éclatées géographiquement. Les grands-parents pouvaient soutenir les parents, notamment par la garde des enfants ; c’est moins le cas aujourd’hui.

MYTHOS : La famille représentait également un soutien financier souvent précieux, face aux coûts très importants pour élever un enfant. En janvier, un rapport de la commission grecque de la concurrence a révélé que le prix du lait infantile était le plus cher d’Europe, vendu 27 euros les 800 grammes. C’est près de deux fois plus qu’en France.

BYRON KOTZAMANIS : En effet, la nourriture, les couches coûtent très cher en Grèce. Sans compter les frais des études. Celles-ci sont de plus en plus longues et pour aller à la fac, même publique, il est toujours indispensable de payer une prépa les deux ou trois années qui précèdent le bac. Et il n’y a pas de résidence étudiante, ni d’allocation pour les jeunes.  

MYTHOS : Au-delà d’une simple baisse des naissances, on comprend que la situation est globale et nécessite, de la part du gouvernement, une réponse multifactorielle. Pensez-vous qu’il existe une réflexion politique sur le sujet ?

BYRON KOTZAMANIS : Pas vraiment. Le problème est que, pour le moment, l’État grec ne dispose pas d’une politique cohérente sur le long terme. On assiste à un vieillissement continu de la population grecque depuis quarante ans, parce que l’espérance de vie augmente tandis que la fécondité baisse. On estime qu’en dessous d’un taux de fécondité de 2,1, une population ne se renouvelle pas. Entre 2004 et 2022, le nombre de femmes en âge de procréer a chuté de près de 25%. Il faut donner davantage de perspectives aux jeunes, qui subissent le taux de chômage le plus élevé du pays, et qui sont de plus en nombreux à quitter le pays depuis la crise de 2008. Il faut à tout prix parvenir à garder la population sur place.