Situé à une heure d’Athènes, ce monument considéré comme l’un des plus anciens théâtres de Grèce est aujourd’hui laissé de côté par les autorités, qui n’ont pas les moyens financiers et humains de protéger l’intégralité de leur patrimoine archéologique.
Pour l’apercevoir, il suffit de prendre le bus ou la voiture et descendre à soixante-dix kilomètres au sud d’Athènes. Face à la mer, à quelques pas de la commune de Lavrio, le théâtre antique de Thorikos affiche ses ruines en plein soleil. Côté gauche du monument construit en forme d’hémicycle, des gradins détruits et ensevelis sous la terre ; à droite, des gradins en pierre qui pourraient presque accueillir du public, tant ils semblent en bon état. Ce théâtre, considéré comme le plus ancien jamais retrouvé, aurait été construit entre 525 et 480 avant JC pour accueillir 3000 personnes qui venaient s’y divertir et débattre de politique.
Contrairement à son célèbre voisin, l’Odéon d’Hérode Atticus, autre théâtre antique situé au pied de l’Acropole d’Athènes, le théâtre antique de Thorikos n’est protégé par aucune barrière ni dispositif de sécurité. Une rénovation a bien été commencée en 2009 mais n’aboutira jamais, faute de moyens des autorités. L’ancien maire de la commune, Stavros Papastavropoulos, a vu sa demande de subvention pour redonner vie au monument déboutée par le ministère de la Culture. De là à dire qu’il est abandonné?
Conflit d’usage
Aujourd’hui, le monument n’est ni renové, ni protégé. Pas tout à fait abandonné, selon les archéologues qui ont travaillé sur place. «Des grilles ont été installées il y a quelques années pour protéger le site archéologique entier, mais cela a posé problème parce que cela empiétait sur la propriété privée d’habitants de la commune. Les autorités grecques ont fait du mieux qu’elles pouvaient», tempère Roald Docter, archéologue à l’Université de Gand en Belgique et auteur de nombreux travaux sur le site de Thorikos. À peine installées, lesdites grilles ont été démontées le temps que le conflit d’usage soit réglé. En attendant, un gardien est payé à temps plein pour veiller sur le site.
«D’un point de vue législatif, les travaux sont bloqués», poursuit le chercheur. Et tant que la justice n’aura pas tranché, les autorités ne pourront pas protéger pleinement le site archéologique. «Pour poursuivre les recherches et la rénovation, il faudra dédommager les propriétaires à hauteur des pertes qu’ils subissent», explique Andres Kapetanios, archéologue et enseignant à l’université ionienne dans la ville de Corfou, qui a aussi travaillé sur le site de Thorikos. Aujourd’hui, le théâtre est isolé en pleine campagne sans infrastructure pour le mettre en valeur ni le visiter, mais les autorités grecques envisagent de reprendre le travail de rénovation d’ici quelques années.
Même modeste, le moindre chantier coûte une fortune au gouvernement. «Le ministère de la Culture grec a déjà investi deux millions d’euros pour stabiliser l’édifice et l’empêcher de s’enfoncer dans le sol», poursuit Andreas Kapetanios. Et les travaux, s’ils sont menés, pourraient coûter bien plus cher: si le théâtre antique est bien le monument le plus célèbre du coin, il n’est que la partie émergée de l’iceberg. À côté de lui, le site archéologique de Thorikos abrite potentiellement d’autres monuments, dont des maisons de l’âge de fer (entre 1200 et 500 avant JC), susceptibles de permettre aux scientifiques de mieux comprendre comment vivaient les communautés humaines durant cette période mal connue. Autant de monuments qui ne demandent qu’à être exhumés par les archéologues.
Valoriser le patrimoine antique
Les accusations d’abandon agacent Elpida Skerlou, responsable du site archéologique de Thorikos pour le ministère de la culture grec. «Il faut bien avoir en tête que rénover un monument antique exige un travail très minutieux. Pour consolider l’édifice, il a fallu se procurer des matériaux modernes et anciens, faire intervenir des spécialistes, et tout ça nous avait pris deux ans de travaux», rappelle-t-elle.
À lui seul, le théâtre symbolise les polémiques autour des difficultés du pays à valoriser son patrimoine. D’un côté, les autorités reconnaissent volontiers la nécessité d’exhumer et protéger leurs trésors archéologiques. De l’autre, il se passe rarement une journée sans que des ruines soient découvertes à travers le pays, tant et si bien que des lois ont été votées pour leur protection. Lorsqu’ils creusent un terrain, les Grecs ont l’obligation de cesser immédiatement les travaux lorsqu’ils découvrent des vestiges. À Thorikos comme ailleurs, des milliers de sites de fouilles attendent d’être explorés puis valorisés. «Pour faire simple, les autorités ne peuvent pas restaurer tous les monuments que nous découvrons dans la péninsule. Il y en a des milliers et nous devons faire des choix», conclut Elpida Skerlou.
Photo de couverture: Le théâtre antique de Thorikos, à proximité de la ville de Lavrio, au sud d’Athènes © Miltos Gikas / Flickr