En Grèce, la fin de la course aux golden visas?


Coup de frein sur les golden visas délivrés aux étrangers, en échange de l’achat d’un appartement sur le territoire grec. Le gouvernement a annoncé au mois de février une nouvelle loi, attendue cette semaine, qui devrait limiter drastiquement l’obtention de ces titres de séjour.

Dans leur grand bureau bleu clair, semblable aux cinq autres de ce cabinet à deux pas de l’Acropole, Cyril et Hélène se sont spécialisés depuis plusieurs années dans les golden visas. Ces fameux titres de séjour sont accordés aux ressortissants hors Union européenne obtenus contre l’achat d’un bien immobilier en Grèce.  Mais aujourd’hui, Cyril est perplexe et inquiet quant à l’avenir de ce marché très porteur. 

 

Après des années de politique très attractive concernant ces passeports, le gouvernement envisage de durcir l’accès à ces golden visas. Concrètement, l’investissement nécessaire s’élèvera désormais à 800 000 euros dans plusieurs régions du pays, à savoir 300 000 de plus qu’aujourd’hui

Jusqu’à aujourd’hui, la procédure d’obtention d’un visa était la suivante :  contre l’achat d’un appartement d’un certain montant sur le territoire grec, n’importe quel ressortissant hors UE peut obtenir un titre de séjour de 5 ans renouvelable indéfiniment, et lui permettant une libre circulation dans l’espace Schengen, plus généralement en Europe.

Ces visas sont principalement convoités par des étrangers venus de Chine, de Turquie, du Liban. Ce programme a connu un succès grandissant, jusqu’à une explosion des demandes en 2023, avec 10 214 demandes d’acquisition ou de renouvellement.


En contrepartie, la démarche est très encadrée : l’achat du bien doit se doubler d’engagements précis, d’un casier judiciaire vierge, de précisions sur ce qui concerne l’exploitation et la transformation du ou encore sur la provenance de la somme déboursée. Si au lancement du programme, le montant s’élevait à 250 000 euros, il déjà été réhaussé l’année dernière à 500 000 euros; le gouvernement envisage d’atteindre un nouveau palier de 800 000 euros, sans tenir compte des différences de prix entre les quartiers et les régions.

Kypseli, quartier d’Athènes très gentrifié par la prolifération des Airbnb et des golden visas.
DR

La raison invoquée : une solution pour pallier la crise du logement

L’objectif officiel, pour le Premier ministre Kyriàkos Mitsotakis, serait d’apporter un élément de réponse à la crise du logement qui continue à sévir sur l’ensemble du territoire, en particulier dans la capitale. D’après la Banque de Grèce, les loyers ont flambé de 20% depuis 2018, l’année où le pays est sorti d’une décennie de crise économique.

Selon le ministre des Finances Kostis Hatzidakis, cité par l’AFP, le gouvernement défend ainsi son engagement pour revenir à des prix raisonnables permettant aux citoyens de se loger. Selon le ministre des Finances Kostis Hatzidakis, cité par l’AFP: « Ces mesures font partie de la politique du logement du gouvernement qui vise, en coopération avec le secteur privé, à garantir un logement abordable et de qualité à tous les citoyens, tout en tenant compte de la nécessité de poursuivre les investissements dans des conditions plus équilibrées »

Dans cette nouvelle loi, d’autres mesures vont dans ce sens d’une facilitation de l’accès au logement : protection des bâtiments historiques, incitation à la conversion des bâtiments en habitations ou encore interdiction de mettre en location courte durée les propriétés acquises dans le cadre d’un golden visa.

L’île de Santorin, une des îles les plus touristiques de Grèce, très prisée par les candidats aux golden visas.
DR

Les golden visas, l’arbre qui cache la forêt ?

De leur côté, Cyril et Hélène dénoncent une réponse gouvernementale qui ne s’attaque pas aux origines du problème du logement: d’une part l’appauvrissement de la population, et de l’autre le développement anarchique des locations Airbnb.


« La crise a commencé avec la crise économique, les loyers étaient alors devenus inatteignables pour des Grecs qui se retrouvaient à vivre avec leurs grands-parents. Il y a eu un moment où toute une famille pouvait vivre avec la pension de retraite d’une mémé grecque qui gagnait 450 euros par mois. Aujourd’hui avec le phénomène Airbnb, la crise n’a fait qu’empirer. »

Hélène hausse les épaules, et souligne que cette proposition de loi laisse entendre que cette crise immobilière serait causée par les étrangers :
« On pense que la responsabilité de la crise du logement repose sur les étrangers, mais ce sont des boucs émissaires. En réalité, il y a une volonté de rejeter la faute sur les étrangers qui achètent. Ce n’est pas une loi qui est faite de manière intelligente.« 

Un sentiment partagé par les commerçants d’Exarcheia, l’un des quartiers les plus prisés par les Airbnb, ancien quartier anarchiste vidé de ses habitants ces dernières années. L’un d’entre eux regrette ce changement total de visage du quartier:

«  Les golden visas sont responsables d’un changement du marché. Selon moi, la transformation d’Athènes est due à 50% au système des Airbnb, et à 50% à celui des golden visas. C’est une vision très capitaliste. »

Une baisse inévitable des investissements en Grèce


La nouvelle loi de régularisation des golden visas est attendue pour cette semaine, et d’ici, là, pas d’autre choix pour la dizaine de cabinets grecs spécialisés dans ce domaine que d’attendre d’être fixés sur leur sort :
« Il y a de fortes chances que le texte change encore. Ce n’est pas nous les petits joueurs de la golden visas, qui pouvons changer les choses. Ce sont les gros constructeurs qui sont en train de mettre la pression. Dans tous les cas, il va y avoir une période de latence, jusqu’à septembre 2024, voire septembre 2025. »

Pour l’instant, ces mesures ne semblent pas avoir découragé les acheteurs, les golden visas représentant encore 7% du marché immobilier en Grèce. Mais d’après Cyril, rien ne pourra endiguer une baisse inévitable de l’attractivité de ces visas :


«… Il suffit de regarder autour, dans le reste de l’Europe…Au Portugal par exemple, ces visas avaient été dans un premier temps règlementés : ils coûtaient 500 000 euros, et on pouvait seulement vendre des appartements hors de Lisbonne. En 2023, ils ont décidé de suspendre la politique d’attribution de ces visas. »

Mayalène Trémolet