«Ici, les partis politiques ont les pleins pouvoirs» : la fac de Philo aux mains de ses étudiants

En réaction à la réforme universitaire engagée par le gouvernement conservateur, les étudiants de l’université d’Athènes, la plus prestigieuse du pays, ont bloqué leur campus pendant deux mois. La Faculté de Philosophie, navire-amiral des frondeurs, porte encore les stigmates de l’occupation.

« Tout le monde au Ministère de la Santé ! », s’époumone Maria dans le grand atrium de la Faculté de Philosophie de l’Université d’Athènes. Cheveux court et menton relevé, la jeune adhérente du SEK, le parti socialiste des ouvriers, distribue à tour de bras des tracts invitant à grossir les rangs de la manifestation du personnel hospitalier prévue ce 27 mars. A ses côtés, trois de ses camarades vendent au passage le dernier numéro de « Solidarité des travailleurs », l’hebdomadaire du parti.

Du militantisme politique en public au cœur de l’université la plus prestigieuse du pays ? De quoi étonner tout étudiant étranger. Pas les Grecs. Assis en petits groupes dans les gradins, cigarette au bec, ils observent d’un œil détaché les va-et-vient des suffragettes écarlates. Les affiches monumentales qui pendent des étages et portent en lettres capitales des appels à la révolte n’accrochent pas plus leurs regards. « Tout ça, c’est le quotidien ici », lâche nonchalamment Adrian, les mains dans les poches de son pantalon large. L’heure est à la discussion bruyante. Les uns roulent en continu du tabac bon marché, les autres avalent en vitesse un sandwich acheté à la petite cafétéria du « Repère anarchiste de la philosophie ». Ainsi vient d’être rebaptisée officieusement l’École de la Philosophie de l’Université nationale et caposdestrienne d’Athènes.

Ce graffiti du policier à la matraque est un héritage de mai-68, accompagné à l’époque de « CRS = SS ».

Car ce paquebot de béton, échoué dans les hauteurs de la capitale, est aux mains de ses étudiants. En opposition à la réforme universitaire du gouvernement conservateur, les jeunes grecs ont bloqué le campus du retour des vacances de Noël à la semaine dernière. « Impensable », pour Stefanos en licence d’histoire, d’autoriser l’implantation d’établissements supérieurs privés alors que l’enseignement post bac est censé être gratuit pour tous.

« En permettant aux écoles privées de délivrer les mêmes diplômes que les universités publiques, nos diplômes n’auront plus la même valeur », tempête le jeune homme au crâne rasé et aux tatouages dans le cou. Avant d’ajouter : « Faute de moyens et d’investissements, le public ne pourra jamais être à égalité avec le privé. Les pauvres iront étudier dans des bâtiments délabrés avec des professeurs médiocres, et les riches se la couleront douce dans des locaux tout neufs avec les meilleurs enseignants du pays », poursuit-il amèrement.

Ce communiste revendiqué en profite pour revenir sur les deux mois de siège. « On avait barricadé l’entrée du campus mais on n’occupait vraiment que ce bâtiment-là. Les autres facultés de l’université ne sont pas aussi engagées que nous », explique-t-il en montrant le pin’s faucille et marteau accroché à sa veste en cuir. « L’occasion pour nous de maquiller à leurs couleurs les locaux décrépis », sourit Stefanos.

Ce graffiti du Général de Gaulle bâillonnant d’une main un jeune est aussi un héritage de mai-68. Réalisé par l’Atelier populaire de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, ce dessin était alors accompagné de l’inscription « Sois jeune et tais-toi ».

Sois jeune et tais-toi

Dorénavant, des « A » anarchistes côtoient des essaims de « KKE » peints en rouge, les initiales du Parti communiste hellénique. Des dizaines d’affiches pour une commémoration des 100 ans de la mort de Lénine recouvrent des pans entiers de murs. D’autres tags, plus travaillés, plongent l’observateur français dans une mélancolie soixante-huitarde. Comme celui du général De Gaulle bâillonnant d’une main un jeune pour l’empêcher de parler, accompagné à l’époque de « Sois jeune et tais toi » et ici affublé de l’inscription « Le dialogue sur l’éducation a commencé ». Ou encore celui d’un CRS menaçant, matraque au poing et bouclier estampillé « SS ».

Autant de décorations politisées qui ne laissent aucun doute quant à l’orientation des étudiants. Ni même des professeurs. « Ils ont presque tous soutenus le blocus », souffle Artemis en première année d’Humanités. D’ailleurs, pendant les pauses, maîtres et élèves ont l’habitude de débattre à bâton rompu dans la fumée bleuie des cigarettes. « Les professeurs ne sont pas des figures d’autorité », ajoute Artemis, rappelant au passage l’absence totale de gardien surveillant l’entrée de l’université ou même d’accueil. « Ici, c’est la liberté avant tout ! », conclut tout sourire la jeune femme.

Pourtant l’autogestion estudiantine ne fait pas l’unanimité. « Les partis politiques ont les pleins pouvoirs ici », observe Georgia en première année de philosophie. « Ils étaient deux cents à décider à eux seuls de bloquer la fac pendant deux mois, empêchant les 50.000 étudiants d’aller en cours… C’est quasiment du despotisme », lâche-t-elle. Surtout qu’« il existe d’autres manières de montrer son mécontentement que de dégrader les locaux et de tout bloquer, comme aller manifester ». De l’anarchisme, d’accord, mais dans le calme.

Une des très nombreuses affiches invitant à « une journée d’échange sur les idées et l’action révolutionnaires » de Lénine, à l’occasion du centenaire de son décès.